28.08.23

Les fraises de Marjorie ou la culture qui enchantait les sens

À la rencontre de Marjorie Roudaut, agricultrice installée à Langoat dans les Côtes-d’Armor

La vie est riche de chemins sinueux, de virages grisants et d’aventures à vivre ! Marjorie Roudaut, petit bout de femme au grand courage, en est la preuve ! Elle est de celles qui osent et qui n’ont pas peur. "Si c’était facile, tout le monde le ferait". Après douze années dans l’esthétique, le confinement aidant, l’idée s’installe doucement mais sûrement : travailler sur l’exploitation agricole de son père, Jean-François, et ainsi perpétuer une tradition familiale de plusieurs générations. En 2020, elle troque donc ses journées en institut de beauté pour revêtir bottes et gants et cultiver choux, brocolis, ail et le fameux coco de Paimpol.
Un credo ? "Toujours faire confiance à son instinct."
 

 

En quête d’autonomie

L’agriculture demande une énergie de chaque instant, physique et intellectuelle. Les cultures sont exigeantes et le travail aussi. Marjorie le sait. C’est pourquoi, elle s’est formée auprès de son père, une aide précieuse qui lui a permis de chercher la culture, SA culture. Un an plus tard, un tunnel de 700 m², dédié aux plants de choux, voyait arriver deux variétés de fraises : Gariguette et Mara des bois. Et, depuis, une serre de 1 400 m² a été construite. Un choix de culture très logique pour Marjorie. Son premier souhait était d’être autonome, de ne pas avoir besoin de demander à son père d’atteler telle machine, de venir avec sa remorque à tel endroit. Avec la fraise, les outils dont elle a besoin sont simples : la terre, ses mains et sa tête. Et pour elle, cette culture s’inscrit dans la continuité de ce qu’elle faisait avant. C’est un produit noble, beau, attrayant qu’elle aime à bichonner et peigner*. La fraise a quelque chose de charnel. C’est une culture qui éveille les sens de par son odeur, son visuel. "J’adore aller dans ma serre. C’est magnifique, les couleurs, les bourdons qui butinent. Ce que j’aime encore plus, c’est y savourer mes fraises." 

La passion ou rien

Médaillée d’or en Bretagne au concours du meilleur apprenti de France lors de ses études d’esthétique, Marjorie ne fait jamais les choses à moitié. "Vu le temps et l’énergie consacrés, la passion est un véritable moteur." Férue de son ancienne activité en institut, elle l’est tout autant de son métier d’agricultrice ou de fraisicultrice comme elle aime à le dire. Avant, elle prenait soin des autres, de leur bien-être. Aujourd’hui, c’est très similaire : "en fournissant une alimentation de qualité, on participe à la santé des personnes." C’est un métier de sens pour Marjorie, quoi de plus beau que de "nourrir la population avec un produit plaisir en plus. Je suis actrice de mon territoire puisque je participe à l’avenir et à la pérennité des cultures. En plus d’aimer ce que je fais, j’ai la liberté de pouvoir travailler à ma façon, d’adapter mon agenda. Je suis heureuse d’aller travailler chaque jour. En étant sur l’exploitation familiale, je suis proche des gens que j’aime et je peux les voir régulièrement. Le bonheur, tout simplement."

L’atout féminin

"C’est un fait, ce sont souvent les femmes qui récoltent les fraises. Elles apprennent vite et sont excellentes à la cueillette. La touche féminine, l’œil esthétique, le détail et la minutie se ressentent dans leur travail. Il y a de nombreuses femmes dans le milieu agricole et derrière un producteur, il y a bien souvent une épouse qui lui permet de se décharger et de performer. Dans le travail, je cherche toujours à être très efficace pour pouvoir me dégager du temps pour ma famille. En période de récolte, le soutien de mon conjoint est crucial. Je suis à 6 h sur l’exploitation pour préparer emballages et chariots pour mes salariés. Dès qu’ils arrivent, nous sommes opérationnels pour la cueillette. Nous devons livrer avant 16 h à la coopérative. J’essaie d’aller récupérer mon fils de 4 ans, Luis, à 16h30 à l’école. Je retourne à la ferme vers 18h30, au retour de mon conjoint, pour finaliser, ranger et préparer. C’est un équilibre à trouver en famille. Dans le Trégor, zone rurale où nous habitons, les gens nous voient travailler dans nos champs, tous autant que nous sommes, hommes ou femmes. Pas de distinction entre nous et, de fait, notre travail est respecté."

Une attention de tous les instants

Marjorie n’est jamais bien loin de ses serres. Elle passe chaque jour les voir et le week-end, c’est un moment de partage avec son fils. Elle veille au grain. La qualité de ses fraises en dépend. Le cahier des charges Prince de Bretagne est assez strict. Mise en colis dans les rangs, étiquetage et palettisation se font directement à la ferme pour garantir les fraises de toute manipulation et préserver leur fraîcheur. La Gariguette doit être présentée en lité, pointe en l’air dans le colis. C’est très visuel et cela améliore la conservation. Autant dire que le travail est minutieux, un savoir-faire qui s’acquiert.
Marjorie travaille sous abri froid, non chauffé. Elle plante donc ses cultures de printemps dès la fin d’année, en décembre et janvier-février. Sa récolte débute alors au mois d’avril avec la Gariguette, la première des fraises sur les étals. La Mara de printemps est plantée en février-mars pour être récoltée dès le mois de mai, jusqu’à début juillet. Ensuite, au tour de la Mara d’été, plantée en juin après la Gariguette, et récoltée de fin juillet à octobre.
Marjorie est très attentive aux mesures agroécologiques et privilégie le biocontrôle et la lutte biologique. "Nous sommes les premiers consommateurs de nos produits, on les mange sur les rangs. Nous avons tous le souhait de préserver nos sols et les générations futures."

A la question où vous voyez-vous dans 30 ans, c’est tout sourire que Marjorie répond "Sur une montagne de fraises !  Avec mon fils non loin de là. Ça me plairait de poursuivre la tradition familiale. J’espère que nous aurons bien développé l’exploitation et que nous ferons d’autres fruits comme la framboise".
Avant cela, Marjorie achève son parcours d’installation et, bientôt, entamera une Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) pour obtenir la capacité agricole. Depuis ses débuts en tant que maraîchère, elle est accompagnée par David, technicien de la coopérative des Maraîchers d’Armor qui fait partie de Prince de Bretagne. Il vient la guider et l’épauler, avantage indéniable que de faire partie d’une structure organisée. Et l’occasion, "d’ensemble, porter les valeurs et le savoir-faire Prince de Bretagne".


 * Peignage : séparation des feuilles et fleurs pour faciliter le butinage et la récolte.

La recette de Marjorie

La fraise est délicieuse sous toutes ses formes. C’est un super aliment, riche en antioxydant, c’est bon pour le moral et la santé. La meilleure est celle qu’on mange directement sur les rangs. La tarte aux fraises sans cuisson est aussi un régal ! Sur un fond de spéculos ou de palets bretons mixés avec du beurre demi-sel, déposez un appareil à base de mascarpone, crème fraîche et sucre, et disposez sur le dessus des fraises Gariguette pour le côté acidulé ou la Mara des bois pour la gourmandise. Il ne reste ensuite qu’à savourer !

Femmes agricultrices

La place des femmes dans l’agriculture reste encore trop modeste mais a considérablement évolué depuis les années 70. Le taux de féminisation s’élevait alors à 8,3 contre 26,5* en 2020, un chiffre qui reste plus ou moins stable depuis 2010. La parité est encore loin d’être atteinte.
Autre donnée intéressante, la moitié des exploitantes s’est établie avant 35 ans et ¼ après 48 ans, contre respectivement 80 % et 5 % pour les hommes.**
* 416 000 exploitations agricoles actives en France dirigées par 523 000 exploitants et coexploitants dont 26,5 % de femmes.
** Population agricole, formation, recherche – Agreste, graph’agri 2022.